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Le Chapon

Il est essentiel pour un groupe de raconter sa propre histoire. Pour ce faire, une pièce de théâtrale est un moyen privilégié . Outre les classiques occidentaux, le Tainaner Ensemble, en tant que troupe revendiquant la culture taïwanaise, a monté Le Chapon en 2008. La pièce est adapté d’un roman de Wen-Huan Cheng écrit pendant la colonisation japonaise. Il relate un mariage arrangé dont les jeunes époux sont victimes de l’avarice.

San-Gui, le père du marié, possède une pharmacie. Il a entendu dire que le gouvernement voulait prolonger le chemin de fer jusqu’au quartier où se situe la menuiserie de Ching-Piao. Il pense que le prolongement de la ligne apportera des opportunités commerciales. Il propose donc à Ching-Piao d’échanger leur propriété et de marier leurs enfants. Ayant toujours rêvé de travailler dans le domaine médical, ce dernier accepte sans délai. A-Yuan et Yue-Li se marient en costume occidental, ce qui à l’époque est synonyme de “nec plus ultra”.

Le chemin de fer n’a pas été prolongé comme prévu. Or, San-Gui avait fait construire des magasins et accumulé des dettes dont son fils unique héritera. Yue-Li aurait voulu demander de l’aide mais elle se heurte à l’indifférence de sa famille. Sans soutien financier, la vie devient de plus en plus difficile. Qui plus est, le mari contracte le paludisme. Psychologiquement affaiblie, touchée par d’infâmes ragots, Yue-Li tombe amoureuse d’un artiste handicapé avec lequel elle se découvre des points commun. Désespérés et victimes de la pression sociale, ils décident de mettre fin à leurs jours.

Cette histoire a été adaptée par un contemporain de Wen-Huan Cheng, le dramaturge Tuan-Chiu Lin. Par rapport à la version originale, le dramaturge a moins voulu insister sur une femme en proie à un mariage arrangé que sur l’esprit guerrier de son mari. Ce dernier est effectivment décrit comme un héros qui ne baisse pas les bras devant l’adversité. Cette histoire s’arrête au moment où il est atteint d’une maladie. Même si l’intrigue n’est pas totalement fidèle à l’originale, cette pièce a reçu un écho favorable sous l’occupation japonaise. La légende veut que la première représentation ait été interrempue par une coupure d’électricité orchestrée par le gouvernement en place. Le spectacle a toutefois pu se poursuivre grâce aux spectateurs qui éclairaient la scène avec leurs lampes de proche. Le souvenir de cette pièce reste attaché à cet épisode, symbole du réveil de la conscience politique des colonisés.

En 2008, pour plus de fidélité vis à vis du roman, deux passages ont été ajoutés à la pièce. La position de la femme au sein d’un mariage traditionnel retrouve une place centrale. Dans la société traditionnelle, la femme est privée d’éducation, et par la même d’indépendance. Son destin dépend de son mariage. À mari incapable, femme misérable. Côté décor, une sculpture de chapon en bois, métaphore de l’incapacité de l’homme, trône sur le comptoir de la pharmacie. Dans le contexte colonial, le titre, en faisant allusion à la relation dominant/ dominé, en est d’autant plus provocateur.

De nos jours, la femme taiwanaise n’est plus soumise au mariage arrangé. Elle est devenue indépendante sur les plans économique et social. Depuis 1945, le pays n’est plus une colonie japonaise. Il est néanmoins significatif que ce roman soit relu après une mise au rebut de la culture taïwanaise, celle-ci étant destinée à renforcer la légitimité d’un gouvernement d’origine chinoise. Dans les années 2000, au cours du premier mandat du président du parti pro-taiwanais, une revendication de la culture taïwanaise a vu le jour. Dès lors, à l’instar du Chapon, la littérature de l’île a retrouvé sa lettre de nobless.

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